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Tching Tchang Tchong
31 août 2009

La loi du silence

Je ne sais pas si vous arrive, mais moi j'ai parfois certaines images qui me reviennent.

Depuis que le taoïsme a endoctriné mon père, il est devenu, je le reconnais, beaucoup moins impulsif. Il a appris à ne pas péter un plomb n'importe quand. Tout ça grâce à un proverbe (car mon père kiffe les proverbes) : "tu pourrais brûler en un jour le bois que tu as amassé depuis longtemps." Depuis qu'il connait ça, c'est la révolution pour nous. Quand il sentait que ça allait péter, il s'en allait. Il avait compris en quelque sorte que quand il était énervé, il pouvait faire sauter la baraque.

Mais vous savez, c'est toujours très difficile d'effacer ses vieux démons. Ce printemps, une terrible dispute a éclaté entre mes parents. Je ne me souviens plus exactement ce que c'était. Je crois que c'était parce que ma mère avait acheté des tomates alors qu'on en avait déjà au réfrigérateur, ou une connerie comme ça. Avec mon père, c'est toujours la même chose. Une petite bricole qui se transforme en catastrophe. Au début, c'est l'achat en doublon d'un produit, ça rebondit sur le caractère de ma mère à "dépenser sans compter" (je cite mon père), après il va ressortir les vieilles histoires. En général, mon père n'aime pas battre ma mère en présence de mon frère et/ou moi. Quand ça gueule trop fort, mon frangin et moi n'intervenons pas mais entrons dans la salle, puis ils n'osent plus rien faire. Des fois, mon père enferme ma mère dans une chambre et la tabasse. Mais bon, ma mère fait tout pour rester au salon. Elle m'a raconté qu'autrefois c'était bien pire. A l'époque, il brisait assiettes sur son crâne.

Pendant leurs disputes, on ne voit jamais rien, mais on imagine. Et c'est terrible ça. Quand je rentre et que je vois la surface de la table à manger cabossée, les estocades sur les murs, les horribles entailles sur les avant-bras de mon père, je ne peux que imaginer. La seule fois où j'ai vu mon père lever la main sur ma mère, c'était je ne sais plus quand, il l'avait saisie par le col et l'avait secoué en lui hurlant dessus jusqu'à qu'elle s'avoue perdante. C'était la seule fois. Après cette scène, j'ai dû me dépêcher pour aller en cours. Comme j'étais très inquiet, j'ai téléphoné à ma mère pendant mon trajet. Elle m'a dit, sans pleurer ni rien, que tout allait très bien, qu'il n'y avait plus de problèmes etc. Donc j'étais tranquille pour le reste de la journée, mais ce n'est qu'en rentrant que j'ai compris qu'elle m'avait terriblement menti.

Il y a un ou deux ans, je me suis rappelé d'un truc. Je ne me souviens plus trop pourquoi je me suis rappelé de ça. Lorsqu'on habitait au 13e arrondissement de Paris, j'avais 7 ou 8 ans. Je m'en souviens très bien, c'était en hiver, mes parents rentraient du travail. Ma mère avait ce grand manteau blanc acheté pour trois sous, et un tailleur en-dessous. Donc je pouvais voir ses jambes, et il y avait des énormes hématomes. Et je lui ai demandé pourquoi elle avait ces bleus. Elle m'a répondu : "le sol est glissant à la boutique, je me suis cognée." Pour moi, c'était plausible, le carrelage venait d'être refait, je faisais un amalgame avec le verglas en hiver ; bref, je n'y pensais plus. Quelques jours plus tard, elle était rentrée à la maison avec des trous sur sa chevelure. Ca me fait presque peur d'imaginer avec quelle férocité, quel acharnement mon père lui a déraciné ses cheveux. Le cuir chevelu aurait lui aussi pu être arraché.

Mon père quand il s'énerve il devient fou, il perd le contrôle de lui. Dans le fond, c'est quelqu'un de pas si mal avec des bonnes intentions, mais son instabilité est dérangeante. Quand je serai parti, quand mon frère sera parti, ma mère n'aura plus personne. J'aimerai qu'elle ou ils viennent vivre avec moi ou mon frère. Mais c'est impossible.

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Commentaires
T
Oui. Il faut distinguer l'homme asiatique né après 1975, qui est quasiment Européen (culture, éducation etc.) ; de l'homme asiatique issu de la vague d'immigration (normes et valeurs différentes de celles des Français)
L
Je n'aime pas généraliser mais certaines "images" m'ont amené à éprouver du mépris pour les hommes asiatiques (étant d'origine asiatique et ayant grandi dans différentes cultures asiatiques). Ces "hommes" me semblaient toujours impulsifs, colériques, violents et n'ayant aucune maîtrise de soi sous des apparences si charmantes en public (l'alcool et certains jeux d'argent y jouant des rôles non négligeables). <br /> En lisant ce post, certaines impressions me sont revenues et certains souvenirs aussi. En y repensant et même avec du recul, j'ai bien du mal à voir ces hommes autrement, même si aujourd'hui ils ont vieilli, faibli. En te lisant une image précise m'est réapparue : celle d'une petite fille enfermée dans une pièce avec d'autres enfants pour les empêcher de voir, frustrée, révoltée mais effrayée de ne pouvoir rien faire en imaginant le pire dans un boucan infernal d'objets qu'on casse. <br /> Mais le passé est derrière et je ne peux pas le changer, je ne peux qu'essayer d'apprivoiser ces souvenirs. Puis j'ai rencontré des mecs asiatiques à l'opposé de cette image d'homme asiatique de mon enfance, qui m'ont aidé à voir au-delà des préjugés que j'avais et à "dégénéraliser".<br /> Bref, je me rends compte que je me suis peut-être trop étalée. Je vais arrêter, je vais pas souler un inconnu quand même ^_^
A
On a beaucoup de choses en commun toi et moi. <br /> Ces images qui reviennent il faut se forcer pour penser à autre chose. En même temps tu ne peux pas sauver tout le monde et en même temps c'est à chacun de prendre son destin en main.
C
la loi du silence... c'est terrible...
Tching Tchang Tchong
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